Les modifications apportées au procédé original :

 

            Suite au traité de Blanquart-Evrard en 1847, le négatif papier connaît des modifications dont les plus habiles sont portées à la connaissance des photographes à travers de petites publications, certaines ne comportant que quelques pages. Ainsi, Chevalier, de Molard, Baldus, Aubrée[1], Guillot-Saguez, Guillemain et d'autres se plaisent à diffuser leurs méthodes, chacune d'entre elles se devant d'être la plus aboutie et la plus juste. Il va sans dire que la publication est indispensable pour obtenir la reconnaissance dans une école française de la photographie sur papier encore naissante.

            Après la publication du nouveau traité de Le Gray en 1851, les réactions des amateurs sont encore plus nombreuses que pendant la période primitive du négatif papier en France, de 1847 à 1851. Le papier ciré sec déclenche des discussions, des controverses sur les formulations, amplifiées par les articles de La Lumière ou du Cosmos, ainsi que par les multiples publications qui s'étendent jusqu'au début des années 1860.

            Deux grands pôles se distinguent alors ; l'école française tente tout d'abord de modifier le ou les produits de graissage ; Outre-Manche, l'école anglaise étudie la composition de l'ioduration, et observe l'effet des nombreux sels envisagés sur le rendu des valeurs et des détails. Les procédés les plus significatifs sont reproduits en annexe[2], sous forme de tableaux en ordre chronologique pour faciliter la comparaison entre les différentes formules. Les commentaires liés aux étapes de préparation proviennent tous des ouvrages référencés dans la rubrique source bibliographique. Si certaines étapes sont similaires au procédé original de Le Gray, elles sont notées Méthode Le Gray.

            En France, Stéphane Geoffroy, avocat à Roanne, est le premier à proposer une alternative fiable au cirage du papier. Il n'utilise qu'une partie de la cire, la céroléine, qu'il extrait à l'aide d'une solution alcoolique. Il combine alors la solution de graissage obtenue aux produits de ioduration. Le problème de la méthode est sa relative complexité ; elle nécessite une distillation, ce qui complique fortement la manipulation en comparaison d'un simple cirage au fer chaud. De plus, Geoffroy ne diffuse sa méthode qu'à travers un article très confus publié dans Cosmos et repris dans La Lumière[3]. Enfin, cette méthode apparaît très délicate à de nombreux amateurs et beaucoup d'entre eux ne réussissent pas à la mettre en œuvre. Pendant l'été 1854, on assiste à un débat fort houleux dans les colonnes de La Lumière entre Le Gray, Lespiault et Geoffroy, chacun défendant sa méthode, Geoffroy avec le plus de virulence pour sa nouvelle idée de dissolution de la cire dans la benzine[4]. En 1855, Goeffroy acquiert cependant une certaine respectabilité en publiant un ouvrage évoquant les problèmes du papier industriel dans une utilisation photographique, en donnant quelques remèdes pour y suppléer[5]. Auguste Belloc cite une grande partie de cet ouvrage dans son traité de 1855, et Van Monckhoven l'évoque dans une publication sur le négatif papier[6].

Hardy est un photographe peu connu, mais son traité au style lapidaire de 1854 a le mérite de montrer la diversité des recherches menées pour optimiser la transparence du papier. Hardy utilise ainsi du mucus gommeux et de l'acide succinique. Humbert de Molard propose quant à lui de ne pas cirer le papier, mais de l'enduire après traitement avec une dissolution de résine de copahu dans de la térébenthine de Venise[7].

Mais l'alternative au cirage qui marque un réel progrès est le procédé de Tillard, d'après une première idée de Lespiault. Ce dernier a l'idée de mélanger la cire à une solution d'essence de térébenthine ; Tillard choisit alors de réunir le cirage et l'ioduration, en se servant d'iode pur auquel il ajoute un peu d'huile de ricin. Ce procédé serait plus rapide et plus fin que le papier ciré sec ; Van Monckhoven note que sans l'arrivée du collodion dès 1852, Tillard aurait connu un plus grand succès[8]. La réussite de ce procédé tient aussi au fait que lui-même est modifié ; on peut citer comme exemple Auguste Marion en 1858[9].

Le procédé Bacot est cité pour montrer jusqu'à quel degré de complexité les photographes pouvaient se hisser ; bien que l'auteur ait certainement rencontré de la réussite en pratique, on comprendra facilement qu'un procédé possédant un cirage-ioduration si long et compliqué n'a pas pu se diffuser parmi les photographes de l'époque[10].

Pour les auteurs français cités ensuite, l'influence anglaise se fait sentir car les recherches ne portent plus sur le mode de graissage, mais sur l'ioduration. Cette étape est d'ailleurs la plus importante, car elle conditionne le rendu des valeurs : le contraste, la sensibilité, la sensibilité spectrale du système sont notamment dépendants de la formule d'ioduration. Ainsi, Belloc et Latreille ne conservent que le iodure de potassium, Van Monckhoven, Davanne et Valicourt le iodure et le bromure.

En Angleterre, Ramsden élimine déjà en 1853 les cyanures et fluorures de potassium pour ne conserver que l'iode pur et le iodure de potassium. Charles A. Long utilise aussi l'iode pur, mais couplé avec de l'iodure et bromure de cadmium. L'utilisation des sels de cadmium paraît découler de l'envie de réaliser des expériences, chère aux photographes pendant cette période primitive de découvertes. Tout comme on enlevait les tâches de nitrate d'argent sur les doigts avec du cyanure de potassium, on observait le comportement photographique de nouvelles chimies. Ainsi, Long n'est pas le seul à utiliser des sels de cadmium ; il justifie leur emploi car l'image est plus vigoureuse et les hautes lumières moins granuleuses. Ces sels n'ont par la suite que peu d'importance dans les processus photographiques.

D'autres photographes anglais réalisent des expériences sur les différents composants possibles du bain d'ioduration, tel Townshend qui conclut sur un couple iode, iodure et bromure de potassium. Selon lui, le iodure seul est trop peu sensible, le bromure augmente la sensibilité, tandis que l'iode augmente le contraste et la densité maximale. Il observe que le cyanure de potassium produit du grain et des tâches, de même que le fluorure tâche le négatif lors du développement. Enfin, l'eau de riz, le sucre de lait, le chlorure de sodium n'ont pour lui aucun effet[11].

A la fin de la décennie qui a vu apparaître le papier ciré sec, on tend alors vers un mélange entre l'iodure et le bromure de potassium. L'apparition du bromure n'est pas étonnant puisque la photographie sur papier, qui exige des temps de pose long - s'orientant donc souvent vers des sujets photographiques où la verdure prédomine - nécessite une sensibilité spectrale plus importante dans le vert. Les premiers à tester le bromure de potassium observent des densités plus importantes sur le négatif pour les feuillages. Bien qu'on ne puisse pas encore parler d'émulsion orthochromatique, on assiste ici à une tentative d'élargissement de la sensibilité spectrale du procédé vers des longueurs d'onde plus grandes.   

 



[1] Aubrée, Traité pratique de photographie sur papier et sur verre et sur plaques métalliques, Wulff et Compagnie, Paris, 1851.

[2] Annexes, p. XII à XXIII.

[3] Stéphane Geoffroy, La Lumière, 8 avril 1854, p. 54.

[4] Comme exemple, on pourra lire l'article de Geoffroy, "Correspondance", La Lumière, 19 août 1854, p. 132.

[5] Stéphane Geoffroy, Traité pratique pour l'emploi des papiers du commerce en photographie, Cosmos, Paris, 1855.

[6] Auguste Belloc, Les quatre branches de la photographie, Traité complet théorique et pratique des procédés de Daguerre, Talbot, Niepce de Saint-Victor et Archer, L'auteur, Paris, 1855, p. 101-115.

Désiré Charles Emmanuel Van Monckhoven, Méthodes simplifiées de photographie sur papier, Marion, Paris, 1857, p.17.

[7] De Molard, Bulletin de la Société française de photographie, juin 1855, tome I, p. 157.

[8] Désiré Charles Emmanuel Van Monckhoven, Traité général de photographie, A. Gaudin et frère, quatrième édition, 1863, introduction, n. p.

[9] Auguste Marion, Procédé négatif sur papier térébenthino-ciré-albuminé-ioduré pour vues, groupes, portraits, A. Marion, Paris, 1858.

[10] De plus, le texte des formulations est tout aussi peu clair que celui de Geoffroy.

[11] Frederic Townshend, "On the Waxed-paper Process", Journal of the Photographic Society of London, volume I 1853-1854, Arthur Henfrey, London, 21 juin 1854, p. 218.